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Les axes de recherche
Thématique scientifique générale
Extrait d’un texte inscrit dans la convention constitutive du GDRE PREHISTOS.
A citer avec la référence suivante : Averbouh 2006, « L’étude des innovations dans l’exploitation des matières osseuses : un formidable potentiel d’information », Thématique scientifique générale, Convention constitutive du GDRE PREHISTOS du CNRS, Paris.
L’étude des innovations dans l’exploitation des matières osseuses :
un formidable potentiel d’information
L’étude des sociétés préhistoriques à travers leurs inventions
L'histoire de l'Humanité se nourrit d'inventions. En Préhistoire, ce sont elles qui scandent l’évolution des sociétés et autorisent l’identification des unités culturelles qui se sont, un temps, structurées à travers leur système technique. L’analyse de l’événement technique ou fonctionnel innovant est donc un axe de recherche privilégié pour ces sociétés sans écriture puisqu’il permet de comprendre comment il bouleverse les termes d’un système préexistant et entraîne (nécessairement) sa restructuration. La nouvelle stabilité qui en découle caractérise alors une nouvelle phase culturelle avant que, de nouveau, des tensions, intérieures ou extérieures à la société, créent les conditions d’apparition d’autres inventions. À travers le mécanisme du cycle invention/stabilisation, c’est donc la mise en place et la périodisation des sociétés préhistoriques que l’on peut espérer mieux comprendre.
A la complexité du mécanisme de l'invention interfère un autre mécanisme dont les conséquences archéologiques sont très semblables : celui de la diffusion. Entre l’invention et l’emprunt, le diagnostic est parfois si difficile, surtout s’ils s’inscrivent dans une période courte, que l’on a parfois négligé de s’y intéresser à la suite de Leroi-Gourhan (1943 et 1945). En effet, ce dernier considérait pour essentielle la présence d’un milieu “ intérieur ” prêt à l’adoption d’un nouveau fait technique et n’accordait qu’une importance secondaire a sa nature. Pourtant, chaque cas identifié pose la question de son statut particulier (invention ou emprunt, réelle innovation ou réapparition), question dont la réponse fonde la légitimité des interprétations d’ordre culturel et renvoie aux hypothèses sur la communication et les mouvements entre groupes humains. Il est donc fondamental de déchiffrer à chaque fois la nature d’une nouvelle apparition technique ou formelle.
L’étude des innovations dans l’exploitation des matières osseuses : un formidable potentiel d’information
Théâtre d’inventions multiples, l’exploitation des matières dures d’origine animale dont relève le groupe des matières osseuses (os, ivoire, bois de cervidé) est un terrain formidablement propice à l’étude de ces phénomènes d'apparition et de diffusion.
Présente dès les cultures récentes du Paléolithique inférieur, elle est alors cantonnée à la fracturation de l’os et à la fin du Paléolithique moyen, au façonnage direct d’éléments maniables (dents, phalanges). Mais au début du Paléolithique supérieur, au cours du premier grand techno-complexe reconnu - l’Aurignacien - l’exploitation des matières osseuses connaît une véritable révolution : de nouvelles matières sont travaillées (ivoire, bois de cervidé), de nouvelles techniques leur sont appliquées (raclage, sciage, rainurage, abrasion), de nouveaux concepts en régissent l’exploitation soit sur le plan du débitage (par segmentation et par bi-partition), soit sur celui du façonnage (de marginal, il devient partiel voire total) (Averbouh 2002). A la période suivante, le Gravettien, un autre pas décisif est franchi : le débitage par extraction, qui pourrait avoir fait précédemment une apparition très timide sur l’ivoire (signalé sur certains sites russes), est désormais appliqué au bois de cervidé et à l’os (Goutas 2004). Ainsi, dès la première moitié du Paléolithique supérieur, les principales inventions qui régiront le travail des matières dures animales au cours des époques suivantes sont acquises puisque la présence des 2 principaux groupes de techniques (de fracturation et d’usure) ainsi que celle des 5 grands schémas de transformation sont désormais avérées.
D’un point de vue analytique, les innovations identifiées renvoient aux extrêmes de la grille d’analyse : la technique et le schéma de transformation. La première, considérée ici au sens de “ technème ”(Averbouh et al. 1999, Averbouh et Provenzano 1999), représente l’élément technique pratique de base (action conjuguée d’un geste, d’un outil, d’une matière) ; le schéma de transformation désigne la conception générale de l’exploitation du bloc (et de ce fait, les grands principes d’acquisition, de transformation et de destination fonctionnelle des objets produits). Entre les deux, se positionnent les procédés, relevant de la partie pratique de la réalisation (associant plusieurs gestes et souvent plusieurs techniques dans un but donné) et les méthodes de débitage ou de façonnage qui renvoient à la conception de ces grandes opérations (Averbouh et al. 1999, Averbouh 2000).
Techniques et schémas de transformation sont limités en nombre du fait des grandes règles qu’ils illustrent régissant respectivement les possibilités d’action sur la matière et de conception de son exploitation (techno-économique), les procédés et les méthodes offrent, en revanche, un large panel de solutions possibles.
Ainsi, les procédés d’extraction d’une baguette sont potentiellement multiples ; certains ont déjà été identifiés tels : la délimitation longitudinale du support par rainurage convergent aux extrémités achevée par un détachement par percussion latérale, alterne, indirecte à l’aide d’un outil biseauté ( Stordeur-Yédid 1979, Pétillon 2006) ; la délimitation par rainurage longitudinal parallèle jusqu’aux extrémités associé à une préparation par entaillage des futures lignes de fracture transversales des extrémités du futur support et à un détachement détachement en percussion latérale indirecte (Averbouh et al. 1999, Averbouh 2000) ; l’extraction sans délimitation mais avec une préparation marginale de la ligne de fracture sur au moins un bord, par rainurage, associé à un détachement longitudinal du support par fendage (Goutas 2003). De même, au-delà de la conception particulière qu’il donne au débitage d’un bloc et ce faisant à la catégorie de support produit (plat, en volume, etc), la méthode de débitage par extraction peut se décliner en de nombreuses variantes tant par le type de support obtenu (baguette, disque, plaquette…), par la localisation des extractions sur le bloc, par le nombre de supports produits, par les procédés de débitage mis en œuvre etc.
Témoins des solutions choisies par différents groupes humains selon diverses contingences d’ordre technique, économique, social voire symbolique (au sens réel du terme, c’est-à-dire “ sacrées ”), ces variations portent en elles l’identité culturelle de leurs auteurs. Les recherches sur l’identification des procédés et des méthodes de transformation renferment en conséquence un formidable potentiel informatif d’un point de vue paléohistorique .
C’est précisément dans cet axe que se situe le cœur du programme du GDRE PREHISTOS puisqu’il s’agit de retracer l’histoire d’une innovation à travers les modalités d’application variables qu’elle a pu connaître au sein des sociétés préhistoriques qui ont fait grand usage d’équipements en matières osseuses dans la majorité des cas. Il est prévu de conduire cette recherche sur une vaste échelle spatiale et chronologique – l’Europe préhistorique - qui, seule, permettra d’identifier les récurrences d’une période à l’autre, les oublis de certaines pratiques techniques ou fonctionnelles, les réapparitions ou les apparitions sinon simultanées, du moins contemporaines à des distances de plusieurs centaines ou milliers de kilomètres.
Programme général
Il serait utopique et infructueux de travailler d’emblée sur plusieurs des inventions recensées à ce jour dans la transformation et l’utilisation des matières dures animales en Préhistoire.
En revanche, conduire une recherche approfondie sur une invention majeure mais encore mal définie tant d’un point de vue technique qu’économique, chrono-culturel et géographique doit permettre d’atteindre un niveau d’information jusque là inédit dans l’analyse des productions en matières dures animales. Cela a également valeur d’exemplarité en mettant en avant le fort potentiel d’une démarche collective et internationale.
En juin 2007, lors de la première réunion plénière du GDRE PREHISTOS organisée à la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme d’Aix-en-Provence (France), deux innovations ont été sélectionnées en concertation avec l’ensemble des membres présents.
Axes de recherche
Ces deux innovations - et donc ces deux axes de recherche privilégiés - ont été retenues conjointement car leur histoire respective pourraient être liées. En outre, l’étude de l’une et celle de l’autre s’inscrit pleinement dans la dynamique récente qui porte l’étude des industries osseuses préhistoriques à l’heure actuelle grâce au développement des analyses d’ordre technologique (fabrication des équipements) et fonctionnelle (utilisation des équipements).
Ce sont donc sur ces deux plans que se situent les axes de recherche du GDRE PREHISTOS.
Chaque membre conduit une recherche et une étude de ces innovations sur son matériel d’étude habituel afin d’acquérir la large vision transculturelle et géographique souhaitée qui sera discutée et étudiée lors des sessions de travail collectif. Toutefois, des équipes de plusieurs chercheurs travaillant sur une même période et une même zone géographique sont constituées afin de favoriser les échanges et les confrontations entre séries analysées et donner aux membres de l’équipe une vision plus large de leurs investigations personnelles.
Références bibliographiques citées
Les quelques références bibliographiques citées correspondent à un texte écrit en 2006. Elles renvoient à une bibliographie plus complète et actualisée sur la question (publications – bibliographie des axes)
AVERBOUH A. (2000) – Technologie de la matière osseuse travaillée et implications palethnologiques : l’exemple des chaînes d’exploitation du bois de Cervidé chez les Magdaléniens des Pyrénées, thèse de doctorat de Préhistoire, université de Paris I, 2 vol., 253 et 247 p.
AVERBOUH A. (2002) – L'industrie en matières osseuses du Paléolithique. Document pour une caractérisation chrono-culturelle des principes de transformation et des productions associées. Tapuscrit établi en vue de la sélection du matériel d’exposition des nouvelles salles du Musée national de Préhistoire des Eyzies de Tayac, 45 p.
AVERBOUH A., PROVENZANO N. (1999) – Proposition d’une terminologie du travail préhistorique des matières osseuses : I – Les techniques, Préhistoire Anthropologie méditerranéenne, vol. 7, Aix-en Provence, p. 7-25.
AVERBOUH A., BEGOUEN R., CLOTTES J. (1999) – Technique et économie de débitage de la taille du bois de Cervidé chez les Mag- daléniens d’Enlène (Montesquieu, Avantès, Ariège) : vers l’identifi- cation d’un cycle saisonnier de production?, in M. Julien, A. Aver- bouh, D. Ramseyer et al. dir., Préhistoire d’os. Recueil d’études sur l’industrie osseuse préhistorique offert à Henriette Camps-Fabrer, université de Provence, Aix-en-Provence, p. 289-318.
GOUTAS N. (2003) – Identification de deux procédés de débitage inédits du bois de Cervidés dans les niveaux gravettiens de Laugerie Haute est et ouest, Paléo, n° 15, Les Eyzies-de-Tayac, p. 255-262.
GOUTAS N. (2004) – Caractérisation et évolution du Gravettien en France par l’approche techno-économique des industries en matières dures animales (étude de six gisements du Sud-Ouest), doctorat de préhistoire de l’université de Paris I-Panthéon-Sorbonne, 2 vol., 680 p.
LEROI-GOURHAN A. (1943) – L’homme et la matière, Albin Michel, Paris, 367 p.
LEROI-GOURHAN A. (1945) – Milieu et technique, Albin Michel, Paris, p. 52-91.
PÉTILLON J.-M. (2006) – Des Magdaléniens en armes. Technologie des armatures de projectile en bois de Cervidé du Magdalénien supé- rieur de la grotte d’Isturitz (Pyrénées-Atlantiques), Artefacts, t. 10, CEDARC, 302 p.
STORDEUR-YEDID D. (1979), Les aiguilles à chas au Paléolithique, Paris, CNRS Ed., XIIIe supplément à Gallia Préhistoire, 217 p.